mardi 6 septembre 2016

LE GRAND JEU de Celine MINARD


Céline Minard est une exploratrice, une voyageuse au long cours et finalement un écrivain exigeant qui force les voies littéraires les plus difficiles.  La littérature comme une course de montagne ou chaque pas peut vous envoyer mille mètres plus bas. Elle est comme ça Céline Minard, imprévisible et exigeante, ascète littéraire qui a fait de la langue à la fois son microscope et son scalpel.
   Aucun des roman de cette écrivaine passionnée par l’enjeu de la phrase ne ressemble à ceux qu’elle a écrit auparavant, chaque fois c’est une nouvelle aventure où l’on retrouve l’ambition de cartographier une terre inconnue en commençant par l’arpenter de long en large pour en mesurer chaque aspérité, chaque excavation, chaque inclinaison.  Céline Minard est une samouraï de la littérature, un seul coup de sabre suffit, inutile d’y revenir.  Cette auteure prolifique nous a déjà gratifié d’une oeuvre riche et inspirée, “Le dernier monde”  et son univers post-apocalyptique,  l’exploration du western avec “Faillir être flingué” et celle du moyen-âge de “Bastard Battle” ou encore le testament d’une écrivaine  dans “So long, Luise” . Et chaque fois c’est du verbe que surgissent les personnages  comme dans “Le grand jeu” , cet exercice de solitude que s’impose une femme en se retirant  sur une montagne qu’elle vient d’acquérir et dont le sommet culmine à 2871 mètres. 
    Le personnage principal - et presque le seul du roman -s’impose une solitude volontaire où la modernité ne tient qu’au lieu où elle vit. Une coque faite d’un assemblage de résine, de fibre de verre et de PVC haute densité. Une porte,  trois hublots latéraux et un oeil-de-boeuf panoramique qui donne sur la vallée et pour l’énergie, des panneaux photovoltaïques.  Une bibliothèque, une couchette, une table et une plaque de cuisson. Pour le reste il faut se débrouiller, planter des légumes, les récolter,  pêcher des truites….  Et puis il y a ces marches interminables à travers cet immense domaine montagneux, seule, retirée du monde.  Le personnage vit cette nouvelle existence à travers les actions qu’elle mène pour assurer sa survie.  Parfois des questions l’assaillent et traversent le texte comme des comètes sans jamais déboucher sur quoi que ce soit d’autre.  Pas de sensualité non plus, on est beaucoup plus proche d’une chronique d’alpiniste solitaire que de la retraite de Walden.   Le texte aurait pu rapidement s’enfermer dans ce huis clos un peu stérile mais Celine va infléchir le récit à partir d’une rencontre aussi surprenante qu’improbable. 
   Comme l’écrit Minard “La montagne n’a pas de bon sens.  Elle n’est pas vivable.  Elle me rappelle quotidiennement que ce monde n’est pas le mien.”  Le texte décrit avec beaucoup de réalisme cette greffe humaine en milieu hostile, réflexion presque philosophique qui échappe aux standards habituels du “nature writing” et parvient finalement à se régénérer dans le surgissement d’une autre solitude. 

Archibald PLOOM

© Culture-Chronique --                                                
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