lundi 23 octobre 2017

LES COUPLES ILLUSTRES DE L’HISTOIRE DE FRANCE sous la direction de Patrice GUENIFFEY et Lorraine DE MEAUX


  Pas moins de vingt couples qui marquèrent leur temps sont présentés dans cet ouvrage dirigé  par Patrice Gueniffey et Lorraine de Meaux.  Même si aujourd’hui la figure de couple a quelque chose de profondément démodé et que la durée de la vie à deux a singulièrement raccourci, le couple ne laisse pourtant pas de fasciner.  On connait l’histoire du duc et de la duchesse de Saint-Simon, qui certes ne s’étaient pas choisis, mais dont l’union devient si étroite, si indéfectible que le duc ordonna qu’après sa mort leurs deux cercueils fussent scellés ensemble afin de rester unis pour l’éternité.  Aujourd’hui les choses sont un peu différentes mais les français continuent  de rester fascinés par les grands couples historiques : Napoléon et Joséphine, Abélard et Héloïse, Louis XVI et Marie- Antoinette, Benjamin Constant et Germaine de Staël,  Sartre et Beauvoir,  Sand et Musset , Les Pompidou, Danielle et François Mitterrand ; autant de binomes historiques  que  “Les couples illustres de l’histoire de France” nous présentent l’histoire chaque fois singulière, heureuse ou malheureuse mais qui chaque fois racontent les mutations successives du pouvoir mais aussi de la société de l’époque.
   Ce qui ressort de l’ouvrage tient sans doute au fait que la France n’a jamais complètement rompu avec son passé monarchique. Mille ans de monarchie laisse des traces. De Napoléon et Joséphine à Napoléon III et Eugénie, c’est bien le même imaginaire qui emplit le XIXeme siècle au moment où la France hésite encore entre république et monarchie. Il est notable cependant que l’absolutisation de la monarchie et l’occupation par elle de la totalité de l’espace politique accrurent l’influence féminine dont les salons furent l’expression la plus achevée. Pourtant aujourd’hui si les épouses de nos présidents ne sont pas rien, elles ne sont pas  grand chose non plus.  La femme du président est finalement sa part d’humanité…
    Même si au fond le couple ne se prête pas à la théorie, parmi  les vingt couples que l’ouvrage nous présente il n’y a pas deux histoires identiques.  La disposition des chapitres permet, par ailleurs,  au lecteur de circuler librement dans l’ouvrage sans se soucier de la chronologie même si cette dernière est scrupuleusement respectée d’Abelard et Héloïse à Danielle et François Mitterrand.  Une plongée dans l’histoire sous un angle inattendu et finalement passionnant. 




lundi 20 février 2017

LA PREMIERE FOIS QUE J'AI ETE DEUX d'Archibald PLOOM



Archibald Ploom nous propose avec “La première fois que j’ai été deux” un roman d’initiation amoureuse plein d’esprit, de verve  et de profondeur psychologique.  Son héroïne, Karen Traban, est une jeune fille qui vit en banlieue parisienne, ce pourrait être dans bien des villes de la grande conurbation qui entoure Paris. Ici ou là , peu importe,  des millions de jeunes gens débutent leur vie dans ces cités qui se ressemblent toutes et où les existences se dupliquent  entre des murs qui  résonnent des mêmes histoires.  Mais parfois un événement peut faire basculer un destin au point d’influencer définitivement le cours d’une existence. 
    L’action du roman se déroule au début des années 2000, Karen Traban est en Terminale et vit seule avec une mère dépressive dans un presbytère transformé en bibliothèque proliférante. Elle est brillante, musicienne et adore danser mais l'amour n'est jamais au rendez-vous, les garçons de son âge lui semblent sans intérêt. Quand un jeune anglais, Tom, arrive au milieu de l'année scolaire dans sa classe, Karen le prend immédiatement en grippe... Elle ne sait pas encore que ce jeune homme si différent des autres va changer sa vie.
    La première fois que j’ai été deux” est une oeuvre profondément contemporaine, de celle  qui révèle  la nature des sentiments  qui lient les êtres les uns aux autres à travers le temps.   Archibald Ploom parvient à immerger son récit dans le temps long de l’histoire, celui qui influence les êtres longtemps après que les événements se soient retirés au fond des mémoires.  Si l’amour est évidemment la thématique centrale du roman ce serait une erreur de le réduire seulement à cela. Ploom a une théorie sur le sujet, pour lui le sentiment amoureux doit être interprété à travers son époque et la force du roman tient dans sa capacité à relier  de manière inattendue  le passé  - en particulier les événements qui bouleversèrent l’Europe durant la seconde guerre mondiale.  Le récit nous entraine en Angleterre, en Pologne et en Allemagne avant de revenir en France où Karen commencera une nouvelle vie.
   "La première fois que j'ai été deux" est un roman profond et intimiste qui peint le passage de l’adolescence à l’âge adulte avec finesse et délicatesse. Archibald Ploom nous propose un récit voyageur et une fresque historique que la naissance d’un amour vient ponctuer comme un message d’espoir.  La vie de Karen en sera changée et sa vision de monde transformée.  Où comment ce qui aurait pu être un roman d’amour classique nous plonge au coeur d’un passé sans lequel  notre présent n’existerait pas, ni l’amour d’ailleurs. Une vraie réussite littéraire.  



dimanche 22 janvier 2017

SUR LES CHEMINS NOIRS de Sylvain TESSON


Après un terrible accident qui le laissa presque pour mort, Sylvain Tesson – qui est revenu depuis de cette forme d’héroïsme personnel aussi inutile que destructeur – s’était fait la promesse, dans son lit de souffrance, qu’il traverserait la France à pied s’il parvenait un jour à remarcher.  La médecine française et des mois de rééducation  vont lui permettre de retrouver assez de mobilité pour réaliser ce projet.  “Sur les chemins noirs” sera la mise en récit de cette promesse qu’il s’était fait à lui même.  «J’avais rêvé cette balade de France dans un lit, je m’étais levé pour l’accomplir. C’était un voyage né d’une chute ». Il la fera seul, rejoint parfois, pour quelques étapes, par ses amis Gras, Goisque, Human et par sa sœur.
   Tesson est amoureux des cartes IGN au 25.000e  car elles sont les seules à révéler  les chemins pastoraux fixés par le cadastre  « des accès pour les services forestiers,  des appuis de lisière, des via antiques à peine entretenues, parfois privées souvent laissées à la circulation des bêtes.  La carte entière se veinait de ces artères.  C’étaient mes chemins noirs.  Ils ouvraient sur l’échappée, ils étaient oubliés  le silence  y régnait, on y croisait personne et parfois la broussailles se refermait  aussitôt après le passage.  Certains hommes espéraient entrer dans l’histoire. Nous étions quelques uns à espérer disparaître dans la géographie. »  Le projet est posé, il est celui d’un grand marcheur  qui n’aime guère la modernité imposée par la société contemporaine.  Tesson écrit et parle une langue  qui  honore  le passé et se méfie du présent. Il est plus proche de Chateaubriand – la religion en moins -  que de Beigbeider, il y a chez lui une recherche  de l’intact au cœur d’une nature constamment redessinée par les hommes.  Tesson est toujours une source vive à laquelle le lecteur vient boire.
    « Sur les chemins noirs » sont aussi les chemins de la rédemption. Ce long voyage pédestre du Mercantour au sommet du Contentin  est celui d’un homme  éclopé  qui ne pourra plus jamais mettre la machine en surchauffe.  Après sa chute  suivie d’un salut inespéré, l’écrivain, qui se présente comme un ancien et triste soûlographe,  se retrouve à des années lumière de son existence d’avant. « Pour moi, une noble existence ressemblait aux écrans de contrôle des camions sibériens : tous  les voyants d’alerte sont au rouge mais la machine taille sa route … »  Il faudra faire désormais à l’économie.  La traversée  va commencer en compagnie de Pessoa, Hölderlin et de Staël mais Dieu que c’est difficile.  Tesson fait le compte des pertes et  le constat  est sans appel, il ne tourne plus que sur un cylindre… Et pourtant il tiendra sa promesse.
   « Sur les chemins noirs »  est un ouvrage qui prend le vif des bonheurs simples et des douleurs irrémédiables, un récit  que n’aurait pas renié  un Marc Aurèle ou un Nietzsche. Les chemins noirs possèdent la puissance de l’indifférence,  ils sont, dans une société  mondialisée, pas très disposés aux changements. « On les comprenait : quand on a cultivé un terroir pendant deux mille ans, il n’était pas facile de participer à la foire mondiale. »  Un grand, un beau livre  qui constitue une inflexion dans une œuvre qui avançait jusqu’alors à marche forcée et qui désormais ralentit le pas mais continue sa pérégrination en suivant indéfectiblement la ligne d’horizon.
(CULTURE-CHRONIQUE.COM)

UNE BOUFFEE D'AIR PUR d'Amuly MALLADI


Les éditions Mercure de France éditent depuis plusieurs années d’excellents auteurs indiens dans sa collection “ Bibliothèque étrangère”.   Nous avions déjà parlé du roman d’Amrirban Bose “La mort de Mitali Dotto” qui avait été une véritable découverte. Cette fois “La Bibliothèque étrangère” s’augmente d’un nouveau volume   d’une auteure indienne née en 1974, Amuly Malladi, qui nous propose un roman intitulé “Une bouffée d’air pur”  et qui renvoie à l’une des pires catastrophes industrielles que le monde ait connue.  A l’époque l’écrivain n’avait qu’une dizaine d’années mais l’onde de choc qu’a représenté l’explosion de l’usine d’Union Carbide le 3 décembre 1984 à Bhopal a profondément pénétré la conscience collective indienne.
   Le récit commence dans la gare même de Bhopal où, ce 3 décembre précisément la jeune Anjali, attend son mari  Prakash qui ne vient pas parce qu’il a tout simplement  oublié.  C’est à ce moment là que l’air s’empoisonne des rejets  chimiques que l’explosion  de l’usine  vient de répandre dans l’atmosphère  de la ville. Les pages qui relatent les premiers  instants de la tragédie qui  précèdent une indicible panique dans la ville sont  terribles,  dévastatrices,  montrant des habitants pris au piège de leurs poumons et ne trouvant nul  part  où respirer. L’explosion d’Union Carbide c’est l’équivalent   de la première attaque au gaz moutarde le 22 avril 1915 à Ypres. Aucune  échappatoire, des hommes faits comme des rats, des morts par milliers,  des aveugles,  des blessés aux poumons brûlés.
   Anjali va survivre avec des séquelles importantes. Elle considère Prakash comme responsable de son destin, s’il avait été là elle aurait échappé à ce triste sort.  Elle demande le divorce et se remarie avec Sandeep mais l’enfant qu’ils auront sera lui aussi terriblement handicapé. Des années plus tard Anjali rencontre Prakash par hasard…
     Amulya Malladi nous propose un roman qui joue simultanément sur les ressorts dramatiques et humains de cette tragédie.  En adoptant la technique du roman choral, offrant à chaque personnage une voix et un ressenti particuliers, l’écrivain  nous permet de saisir la complexité d’une situation que personne n’a choisie  mais que chacun  s’est vu imposer.  C’est aussi un très beau roman sur la difficulté du pardon. “Une bouffée d’air pur” un roman qui plonge ses racines au coeur de notre humanité et à ce titre il constitue une belle surprise littéraire.
(CULTURE-CHRONIQUE.COM)