vendredi 30 septembre 2016

LES PIERRES DE MEMOIRES de Philippe NONIE


Philippe Nonie nous propose avec “Les pierres de mémoires” un étonnant roman construit autour d’un récit inter-générationnel qui revient sur une réalité historique que beaucoup ignorent encore. “ Pendant des siècles, les cagots ont été ces hommes et ces femmes traités comme des dégénérés. Ils vivaient en communauté tels les lépreux dans les lazarets. Ils ne mesuraient guère plus d’un mètre cinquante, parfois moins, et devaient porter une patte d’oie cousue sur leurs habits pour les distinguer des autres. Dans les villages, un cours d’eau – un ru, une rivière, un fleuve – faisait systématiquement office de frontière entre les cagots et les autres…”
   Il manque à Henri, personnage principal du roman, quelques centimètres, ce qui fait de lui un cagot.  C’est un adolescent sensible et discret. Il vit en retrait de ceux de sa génération et sert d’homme à tout faire dans l’exploitation agricole familiale pas très loin  de Bagnères-de-Bigorre, dans les Pyrénées. Mais Henri il supporte mal sa condition de paysan. Il rêve à un autre destin, loin de cette ferme où il perd son temps. En effet c’est un grand lecteur et il possède un véritable talent pour l’écriture. Au fond de lui il veut être écrivain mais ses parents considèrent les gens de lettres comme des ratés. 
   Le roman reprend pas à pas l’itinéraire d’Henri vers cette existence qu’il sent possible mais que les circonstances semblent lui interdire. Tout va commencer par une étrange  rencontre dans un champ que les gens  appelle « La parcelle aux génisses » près  d’une grange en ruine. L’adolescent découvre une peintre inconnue qui a planté son chevalet pour peindre la grange. Cette dernière  va poser ses doigts sur les yeux du cagot et lui demande de toucher les pierres dont elle prétend qu’elles possèdent une mémoire. Le lendemain, il est en proie à une intense créativité qui ira en s’intensifiant tout au long du roman et qu’il doit satisfaire en écrivant. Le virus est inoculé et  Henri se dirige vers une existence très différente de celle qui aurait dû être la sienne.
   « Les pierres de mémoires » fonctionne sur le mode du conte poétique qui vous saisit au vol et ne vous  libère qu’à la dernière ligne.  Roman de la libération d’une vie, imprégné de poésie et obsédé  par l’acte même d’écrire  « Les pierres de mémoires »  est aussi  un roman profondément  ancré dans le temps, des années 60 au début des années 2000.   Un très beau roman. 

AVEC LA MORT EN TENUE DE BATAILLE de José ALVAREZ


José Alvarez nous propose “Avec la mort en tenue de bataille”  le roman d’une quête mais aussi celui d’une métamorphose, celle d’Inès  une respectable mère de famille que le destin  et l’histoire viennent frapper en plein coeur.  Alors que la guerre d’Espagne vient de débuter, le mari d’Inès, Léopoldo, est bloqué avec son navire à Buenos Aires. Il ne reviendra pas, envoyant à sa femme des nouvelles laconiques. Elle devra affronter la guerre seule. Une guerre civile qui commence pour elle par la trahison de son confident, le père Alfonso.  Distance du mari, trahison de l’homme d’Eglise, des circonstances qui auraient brisé plus d’une femme d’autant qu’un événement terrible va s’ajouter aux précédents :  Inès n’a plus aucune nouvelle de ses enfants qu’elle avait mis à l’abri en France.  Sa quête commence alors et va révéler chez cette femme, contre laquelle le sort s’acharne, une énergie et une détermination qu’elle même ne pouvait pas soupçonner.    
   Jetées en prison, après la dénonciation du prêtre, Inès et sa sœur seront  emprisonnées avec des centaines de républicains, anarchistes, communistes. Inès découvre les agissements de ceux qui veulent protéger “la pureté de la race”, “anéantir le virus communiste”, “éradiquer le gène marxiste”, autant de formules issues de l’idéologie fasciste. Elle assiste au triste spectacle d’un mal qui va progressivement contaminer toute la société espagnole. Avant d’être relâchée, Inès a le temps d’assister aux pires  aux  tortures, aux fusillades, au naufrage conjoint de  l’humanité et de la dignité. Face à ces événements Inès va devenir une intrépide combattante qui se refuse à choisir entre les factions politiques qui se déchirent.  La disparition de ses enfants l’obsède et elle va parvenir à trouver des alliés pour retrouver leur trace dans une Espagne à feu et à sang.
Avec la mort en tenue de bataille” réveille les fantômes d’une guerre atroce en ressuscitant le combat de milliers d’anonymes qui tentèrent de sauver l’essentiel : l’amour qu’on porte aux siens.  A la foi mère courage, combattante intrépide  et femme aimante, Inès est l’allégorie de ceux qui résistèrent à la fatalité en lui opposant la liberté. Un roman à la fois terrible et vivifiant.  
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE.COM)

BRONSON d'Arnaud SAGNARD


Ce “Bronson” d’Arnaud Sagnard est un sacré bon roman, l’un de ceux qu’un auteur nourrit longuement avant de se mettre au travail.  Charles Bronson est l’un de ces acteurs emblématiques du cinéma hollywoodien qui a tourné une quantité de films hallucinante, un homme au sourire énigmatique sur lequel on a beaucoup écrit.  Sagnard tente de saisir  le fond de cette énigme en examinant au plus près ce qui a progressivement constitué le mythe Bronson.
  Bronson  est un gamin  d’Erhenfeld, en Pennsylvannie, au coeur des montagnes des Appalaches, à mi-chemin entre Pittsburgh et Harrisburg.  Erhenfeld est une ville minière où l’on travaille dur pour quelques dollars.  Charles Bunchinsky est issu d’une famille de treize enfants dont une bonne partie travaille au fond de la mine suivant l’exemple du père. Charles sera le premier de la famille à aller au lycée. De son côté Arnaud Sagnard est un gamin de Charenton le Pont loin d’être aussi costaud  que  le jeune Bunchinsky.  Le lecteur va suivre  les lignes de  vie des  deux hommes, l’un poursuivant l’autre, fouillant  chaque recoin de son existence, examinant  une filmographie  où le meilleur côtoie souvent le pire.  Sagnard  ne nous propose pas un exercice d’admiration. Pour lui Bronson n’a rien d’un héros  du cinéma américain , il le voit plutôt comme une incroyable machine à faire des films, une brute de travail  dont l’économie du jeu d’acteur  n’a d’égale que les angoisses qui le tenaillent  et qu’il tente de conjurer  en s’oubliant sur les plateaux. 
   Entre le jeune Arnaud et l’acteur américain va se nouer un lien qui va s’approfondir avec le  temps.   Charles Bunchinsky devenu Bronson va tourner pendant près de 50 ans et l’enquête de Sagnard va tourner à l’obsessionnel :  voyages aux Etats Unis sur les lieux où vécut l’acteur, visionnage  de centaines d’heures de la filmographie bronsonienne, lecture  de tout ce qu’on a pu écrire sur  la plus mutique des stars d’Hollywood. Celui qui fut l’une des figures du justicier américain à travers le personnage  de Kersey véritable assassin sans mobile  qui erre la nuit dans les rues.  “Les victimes changent  au gré des peurs de l’Amérique, les délinquants en maraude laissent place aux organisations  trafiquant de la drogue et à la mafia.”  Ces films sont médiocres mais Bronson est l’un des rouages d’un Hollywood qui se nourrit à l’époque de la duplication du même film décliné dans des suites plus mauvaises les unes que les autres et de celle des cassettes VHS.  Le  cinéma américain est système industriel qui peut faire de l’image d’un homme dans un miroir  le symbole  reproductible  à l’infini des obsessions d’une société.  
   Bronson mourra en 2003 d’une pneumonie, mais l’enquête de Sagnard ne faisait alors que commencer débouchant sur un roman qu’on lit d’une traite.  Ce “Bronson” met à jour comment  l’acteur  survécut à ses peurs en tournant inlassablement des films dont la qualité importait peu et comment le cinéma hollywoodien l’utilisa  jusqu’à l’écoeurement.  Le mythe en prend un coup mais l’intelligence en ressort grandit.  
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE.COM)


UNE FILLE ET UN FLINGUE d'Ollivier POURRIOL


Dimitri et Aliocha Koulechov  forment une paire inséparable depuis leurs plus jeunes années et pour cause ils sont frères.  Ils rêvent de tourner leur premier film  mais leur origine en font des fauchés congénitaux. « La seule difficulté  d’interprétation dans un film, c’est le budget … »  Les deux garçons sont élèves à l’école de cinéma dirigée par un certain Luc B. Celui-là-même qui affirme comme un principe : « Un film, c’est un hold-up ».  Dimitri et Aliocha ne vont pas se le faire dire deux fois. Débrouillards, un tantinet voyous mais surtout extrêmement ingénieux,  les deux frères vont s’engager  dans une quête roublarde pour parvenir à leurs fins.
  « Une fille et un flingue » est une magnifique déclaration d’amour au cinéma, un roman  qui mélange les genre avec une gourmandise d’esthète.   Ollivier Pourriol   nous entraîne dans un récit  alerte  où se succèdent usurpations d’identité, rendez-vous manqués, arroseurs arrosés… On bascule dans un folie douce qui voit  se succéder les chapitres  comme autant de bobines d’un long métrage foutraque  mais délicieusement  inspiré.  On s’amuse de la teneur  des cours de Luc  B : «  Je vais vous montrer.  Dimitri, Aliocha , mettez vous à la place de l’acheteur, passez derrière le bar, pour voir. Il faut bien vous vendre quelque chose, puisque vous voulez acheter. Mais on ne peut pas vendre « le film » ;  pour l’instant il n’ y a qu’un scénario, des « notes d’intention », du blabla. Alors on vous vend quoi ? »   On appréciera le ton hésitant entre celui de l’homme de l’art et du margoulin.  On goûtera aussi  le surgissement de Catherine D  dans une affaire qui paraissait bien mal embarquée mais nos deux tchatcheurs ont de la ressource, ils sont même franchement irrésistibles à certains moments au point d’arriver à ajouter l’immense Gérard D  à leur projet.
  Voilà donc nos deux apprentis cinéastes embarqués dans une production qui ressemble à un scénario de cinéma pour notre plus grand plaisir.  « Une fille et un flingue » est un roman plein d’intelligence, de références et d’humour  qui se lit d’une traite dans un fauteuil de cinéma.  
« Silence ! On tourne ! »
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE.COM)


dimanche 18 septembre 2016

CORRESPONDANCE 1928-1940 Roman ROLLAND et Stephan ZWEIG


Les éditions Albin Michel arrivent au terme de la publication de la correspondance entre Romain Rolland et Stephan Zweig.  Troisième et dernier volume qui met un point final  à une longue relation épistolaire  dont le fil se rompt le 19 avril 1940  par une  courte et dernière missive  de l’écrivain autrichien qui résidait alors à l’hôtel Louvois à Paris.  
Ce troisième volet de la correspondance de deux auteurs est sans doute celui qui  est le plus affecté par l’histoire, il commence à la fin des années 1920 pour s’interrompre au moment où la France va connaitre l’une de ses plus lourdes défaites  militaires de son histoire.  Cette décennie, l’une des pires de l’histoire de l’Europe,  avait pourtant débuté par le pacte signé en 1928  par les nations qui s’étaient déchirées durant la première guerre mondiale, pacte qui condamnait tout recours au conflit armé, prévoyant même de mettre la guerre hors la loi.  La suite  sera plus prosaïque, revenant  à un cours  moins imprégné d’idéal  bien au contraire.
   Les deux écrivains vont vivre intensément cette décennie dont ils rendent avec passion les couleurs,  les bruits, les atmosphères, les  vibrations  émises par les uns et les autres.  Romain Rolland, qui est un antifasciste de la première heure, se définit politiquement comme “compagnon de route de L’URSS” tandis que Stephan Zweig, plus méfiant  vis à vis de la politique,  s’affirme comme l’un des défenseurs d’une  Europe unie.  Pour son ami français il mettra d’ailleurs trop de temps à se démarquer des nazis.  Pourtant l’écrivain autrichien a pris la route de l’exil dès 1934. En avril 1940,  il vient à Paris pour quelques conférences sur  la “Vienne  d’hier”.  Curieux contraste  entre les préoccupations culturels d’un tout Paris  qui se bouscule au théâtre Marigny tandis que le ciel de l’histoire  se  voile de noir.
    Zweig va finalement s’exiler au Brésil où il se donnera la mort en 1942 et Romain Rolland ne le reverra pas. Il apprendra sa mort par la radio.  Triste dénouement mais cette correspondance riche de la rencontre de deux grands esprits nous permet de suivre leurs parcours respectifs et d’embrasser l’atmosphère d’une époque. Entre un Rolland, parfois entraîné dans les idéologies du moment, et un Stephan Zweig plus distancié, imprégné d’un humanisme qui n’est plus guère dans l’air du temps, naît un contraste qui  fait resurgir une bonne partie de l’histoire européenne depuis la Renaissance.  Et puis n’oublions pas que nous avons à faire à deux grands stylistes, ce qui ajoute encore à notre plaisir. 
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE.COM)

LE MENSONGE SACRÉ de Luís Miguel ROCHA




Si Luís Miguel Rocha, disparu prématurément en 2015,  fut le premier écrivain portugais à figurer dans les meilleures ventes du New York Times  ce n’est certainement pas par hasard.  Rocha possédait indéniablement une plume inspirée qu’il trempait dans l’encrier  des plus grands noms du polars et son sens du récit  l’annonçait  comme l’un des futurs maîtres du genre. Hélas! le destin  en a décidé autrement.  Il faut toujours s’attrister de la disparition d’un jeune auteur au regard de toutes ces années d’écriture à venir qui partent en fumée.  Mais il reste cependant des raisons de se réjouir car l’écrivain lusitanien nous laisse son  extraordinaire triptyque  “Complots au Vatican”  dont l’intensité ne faiblit jamais tout au long de ces mille cinq cents pages qui conjuguent l’actualité et l’histoire avec un brio dont on ne se lasse pas. 
   On connait le goût du secret de l’administration vaticane, on sait aussi à quel point l’église a su mettre en scène son rapport au surnaturel pour conforter la foi des fidèles. Mais il peut arriver  que les meilleurs secrets se mettent à vaciller au point de mettre en danger toute l’institution.  “Le mensonge sacré” est le dernier volume de cette trilogie vaticane et comme dans les deux romans précédents Rocha parvient à articuler l’histoire millénaire de  l’église catholique avec le surgissement d’un évènement  inattendu. Au moment où le pape Benoit XVI est élu pape et découvre “le mensonge sacré”, un document  à propos duquel  le pape Clément VII au XVIeme siècle  mentionne qu’il est d’importance vitale et que tous les papes qui lui succéderont devront prendre connaissance de ce secret.  Mais au même moment la découverte d’un évangile apocryphe trouvé près de la Mer Morte menace que tout soit dévoilé.  Rafael, un agent du Vatican va devoir enquêter sur ces documents. Ses découvertes vont faire vaciller tout ce qui constituait jusqu’alors non seulement le socle de sa foi mais aussi les bases de la sainte institution catholique. L’Eglise est au bord du gouffre.  
   Rocha réussit avec “Le mensonge sacré” à refermer sa trilogie sur une note aussi noire que les couloirs du Vatican au crépuscule. Il parvient à conjuguer dans un maelström magistralement orchestré, spiritualité, désir, politique vaticane et fantômes de l’histoire.  L’écrivain portugais fait revivre deux mille ans d’histoire vaticane à travers une enquête où chaque seconde du présent est intimement liée à un passé   qui pèse lourdement sur les vivants.  Un point final qui laisse des regrets éternels….
Archibald PLOOM
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lundi 12 septembre 2016

LA RUE DU BOUT DU MONDE d'Hélène CLERC-MURGIER

Le roman policier historique appartient évidemment au domaine du roman policier mais il constitue à lui seul une catégorie particulière exigeant de l’écrivain un sens de l’intrigue,  alliant psychologie des personnages et  mise en œuvre d’une narration basée sur le suspense, tout en développant un solide arrière plan historique.  Une petite erreur, un anachronisme, et voilà votre roman à jeter aux cochons !  Le roman policier historique est donc un genre risqué mais quand il est inspiré il faut lui reconnaître des qualités qui valent le détour.
 « La Rue du Bout du Monde » d’Hélène Clerc-Murgier possède indubitablement tous les ingrédients nécessaires au genre.  L’écrivain  nous propose un voyage en plein XVIIeme siècle au moment où les oppositions entre catholiques et protestants continuent à alimenter les passions politiques et religieuses. L’action se déroule près d’un demi siècle après la Saint Barthélémy, c’est le règne de Louis XIII qui a succédé à Henri IV et malgré la promulgation de l’Edit de Nantes en 1698 on sent bien que le pouvoir est fragilisé par les intrigues et  les prémisses de la Contre Réforme. Le feu couve mais il n’est pas encore déclaré.  
   Hélène Clerc-Murgier soigne les détails, on découvre le Paris de la première partie du XVIIeme siècle. « Le Grand Châtelet, aux premiers jours de l’été, ne se départait pas de son allure de citadelle qui le rendait réellement sinistre aux yeux des parisiens. Les tours, salies par le temps, les intempéries et l’humidité de la Seine toute proche, semblaient encastrées les unes dans les autres et se fissuraient de toutes parts. Les toits d’ardoise grisâtres ternissaient le ciel, même les jours où le soleil illuminait la cité. De l’extérieur, cette prison semblait une ruine, alors qu’elle abritait les plus lugubres cachots de la capitale et était un des endroits les plus redoutés de Paris. » Le décor est planté. Nous sommes en 1624 et Richelieu  fait tout pour revenir dans le jeu politique. Le pouvoir s’apprête à basculer tandis que de l’autre côté du Rhin le savant Wilhelm Schickard  vient de mettre au point une horloge à calculer. Les plans qu’il a élaboré doivent  être transmis au comte Henry de Schomberg qui habite au château de Vincennes. Le jeune français, Michel Mauregard,  va traverser les provinces allemandes et une partie du royaume de France  pour mener à bien cette mission.   Dans la capitale un rumeur se répand : des femmes seraient assassinées et retrouvées le cœur arraché.  Le lieutenant criminel Jacques Chevassut épaulé par son second, Philippe de May, vont mener  l’enquête  dans Paris et ses faubourgs.  L’affaire se révèle autrement coriace qu’ils ne l’avaient imaginé au départ et puis, à mesure que les événements se précipitent, les autorités se montrent de plus en plus nerveuses et de moins en moins compréhensives.  Les deux hommes vont devoir affronter des intérêts qui les dépassent et découvrir progressivement une réalité aussi terrible qu’implacable.
Entre le polar historique et le roman d’espionnage,  Hélène Clerc-Murgier tisse une toile narrative qui nous entraîne des cabarets du quartier Latin aux échoppes du Pont Neuf, de la cour des Miracles et l’hôtel de Rambouillet.  Son travail de documentation a été considérable et son sens du récit  contribue à rendre son roman profondément réaliste.  « La Rue du Bout-du-Monde »  est un petit régal de polar historique qui place désormais Clerc-Murgier parmi les meilleurs spécialistes du genre. 
Archibald PLOOM
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samedi 10 septembre 2016

L'AUTRE QU'ON ADORAIT de Catherine CUSSET


  L’autre qu’on adorait” est un beau titre de roman tiré d’une des plus belle chanson de Léon Ferré :
Avec le temps...
Avec le temps, va, tout s'en va
L'autre qu'on adorait, qu'on cherchait sous la pluie
L'autre qu'on devinait au détour d'un regard
Entre les mots, entre les lignes et sous le fard
D'un serment maquillé qui s'en va faire sa nuit
Avec le temps tout s'évanouit

    C’est bien contre le temps qui efface tout que veut lutter Catherine Cusset, ce temps qui pourrait faire disparaître la silhouette de Thomas Bulot, un ami très cher de l’écrivain, qui était parti enseigné aux Etats-Unis et s’est suicidé à trente neuf  ans à Richmond en Virginie.  Catherine Cusset revient sur la vie de celui qui fut, un temps, son amant et pour qui, des années après, elle continuait de nourrir une profonde affection.  Catherine a réussi le concours de normale sup alors que Thomas le manque deux fois.  Il n’empêche Thomas est un spécialiste de l’oeuvre de Proust,  un  grand connaisseur de musique classique et de cinéma au point que l’université  de Columbia à New-York lui ouvre ses portes.  Rien ne semble lui résister, il finit même par être recruté par une université  américaine.  C’est un garçon brillant intellectuellement et un véritable séducteur auquel beaucoup de femmes auront succombé. 
   Pourtant cette trajectoire, que beaucoup envient à l’époque, va progressivement décliner. Sur le plan universitaire son travail manque de continuité et il ne parvient pas à entamer la carrière qu’il ambitionnait dans une grande faculté.  Dans le domaine amoureux, les conquêtes se succèdent sans déboucher sur quoi que ce soit sinon une course en avant sans fin.  Thomas se met à boire, à vivre au dessus de ses moyens, à retarder les travaux de recherche qui devaient faire sa réputation.  Il s’avère que cet  intellectuel brillant est bipolaire et qu’il est en train de sombrer dans un cycle maniaco-dépressif.  Ses amis s’éloignent, sa famille est impuissante et Thomas a beau rencontrer psychologue et   psychiatre chaque semaine, rien ne semble pouvoir arrêter la vrille qui l’entraîne  vers la dépression . L’augmentation des prises médicamenteuses ne produisent que des effets momentanés. Thomas fonce vers un destin tragique sans que personne ne puisse rien y faire, pas même lui, pas même la narratrice.
   “L’autre qu’on adorait” est le roman d’une question, celle, éternelle du lien qui nous attache à l’autre, à celui ou à celle qui compte pour nous.  On retrouve le style vif de Catherine Cusset, le rythme alerte de sa phrase, la densité de son texte. Un roman magistral, profondément psychologique où la mort est mise à distance par l’écriture sans que sa charge tragique ne soit jamais éludée.  Sans doute l’un des romans les plus abouti de Catherine Cusset et l’un des meilleurs de la rentrée littéraire.

Archibald PLOOM

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RIEN N'EST CRUCIAL de Pablo GUTIÉRREZ


Il arrive qu’un livre étonnant parvienne jusqu’à vous, un de ces romans qui résonne encore longtemps au fond de votre âme.  On se demande ce qui a pu provoquer en vous un tel mouvement d’adhésion dès les premières pages. La densité de l’écriture?  La qualité du récit?  La puissance des personnages?  La réponse n’est jamais simple car cette adhésion profonde à une oeuvre est toujours un composé complexe profondément lié à la psychologie du lecteur.
   Le second roman de Pablo Gutiérrez remarquablement traduit par Florence Cuillé appartient à cette catégorie des oeuvres  inclassables qui portent en elles quelque chose de notre monde et l’exprime avec une acuité  qui tourne parfois à la virtuosité.  “Rien n’est crucial”  décode le monde contemporain  à  travers la trajectoire de deux adolescents. D’un côté Margarita (ou Marga, ou Magui), gamine solitaire  dont la mère, divorcée, a d’abord  sombré dans la dépression avant de se lier  à un nouveau compagnon abîmé  dans ses certitudes. De l’autre Lécumberri (ou Antonio, ou Lécou)  a été enlevé  à des parents méchamment junkies par le créateur illuminé d’un mouvement catholique charismatique qui cherche à influencer l’Église d’Espagne.  A travers  des plongées successives dans le passé des deux enfants  et la voix d’un narrateur dont le lecteur identifiera l’origine  que très tardivement  dans le récit, Pablo Gutiérrez  parvient à travers  le regard naïf des deux  enfants  à tracer  les lignes de fuites  d’une société  examinée avec une cruelle ironie.  “Il n’était ni philosophe, ni métaphysicien, ni poète, mais il comprenait à sa manière, c’est-à-dire sans mettre de mot sur cette pensée à lui, que la résignation chrétienne (ou néochrétienne, ou protochrétienne, c’était pareil) était la bouche d’égout par laquelle s’écoulait le mensonge vagabond qu’avait été sa vie jusqu’ici. »
  Se porter au niveau de la psychologie d’un enfant à différents moments de son développement  mental n’est pas donné à tous les écrivains.  A ce titre le séquençage des souvenirs de Margarita et de Lécumberri est tout à fait remarquable par sa fluidité et par le rythme qu’il donne au texte.  La brutalité du monde déferle, à travers le récit,  comme un torrent déchaîné entraînant dans son courant boueux bien des impuretés de l’histoire espagnole et qui s’apaisera finalement dans l’émerveillement  et la contemplation d’une beauté renouvelée.  Un conte éblouissant d’inventivité  et d’une puissance d’écriture  à crever toutes les Rocinante de la littérature ibérique et  dont on ressort secoué  mais conscient d’avoir  vécu un grand moment de lecture.  En résumé, un grand livre …
Archibald PLOOM

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jeudi 8 septembre 2016

CLAUSEWITZ de Bruno COLSON


Nombreux étaient les lecteurs qui attendaient, non sans impatience, une biographie de Clausewitz.  Voilà un général prussien, né en 1780 et mort à 51 ans,  qui aurait pu traverser l’histoire en illustre inconnu comme le fond la plupart des généraux. Il en a été bien autrement et cela  à cause d’un fait unique mais considérable : la publication de son ouvrage “De la guerre” qui aura un retentissement bien au delà de son époque puisque Raymond  Aron lui consacra dans la seconde partie du XXeme siècle deux volumes d’analyses serrées “Penser la guerre, Clausewitz” .  En France il intéressa aussi Guy Debord et René Girard, excusez du peu. Cette pensée remarquablement  structurée continue à être enseignée dans les écoles de guerre du monde entier.  Raymond Aron écrit à son sujet “Romantique et raisonnable, impitoyable en ses analyses et d’une sensibilité frémissante, pauvre au milieu des riches, frustré de la gloire à laquelle il aspirait, Clausewitz appartient à la lignée des Thucidide ou des Machiavel qui grâce à leur échec dans l’action, trouvent le loisir et la résolution d’élever au niveau de la conscience claire la théorie d’un art qu’ils ont imparfaitement pratiqué.”  Mais Clausewitz  a-t-il si imparfaitement pratiqué l’art de la guerre comme le suggère Raymond Aron?  
   La biographie que nous propose Bruno Colson nous offre justement un éclairage à la fois large et précis sur ce que fut le destin de Carl von Clausewitz. Celui que Raymond Aron  présente comme un intellectuel de  la guerre fut pourtant officier d’état major dans l’armée prussienne de 1812 à 1814 mais aussi, ce que l’on sait moins,  dans l’armée russe. Solitaire, sans doute par tempérament, Clausewistz était aussi un officier supérieur de premier ordre, un homme qui savait trancher et prendre des décisions difficiles. C’est ce qu’il démontra sur les champs de bataille jusqu’à Waterloo.  Bruno Colson rappelle aussi qu’après la déroute de l’armée prussienne en 1806 il contribua fortement à sa réforme de 1808-1811.  Un homme dont l’action contredit  donc finalement les clichés qu’on aura pu lire à son sujet.  Pour cette raison cet ouvrage est capital.  Mais le travail d’archives qu’a effectué Bruno Colson et si remarquable qu’il élève  cette biographie  au niveau de ce qui se fait le mieux dans ce domaine. Il suffit de jeter un oeil à l’appareil de notes ainsi qu’aux sources qu’a exploitées l’historien pour prendre conscience de l’énormité de la recherche à laquelle il s’est livré.  Notons enfin la qualité de l’index à la fois riche et précis qui permettra aux spécialistes de circuler facilement dans ce “Clausewitz” qui fera date.

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mercredi 7 septembre 2016

LA DOUBLE VIE DE JESUS d'Enrique SENA


Depuis “Au dessous du volcan” de Malcolm Lowry  le Mexique a pris une place particulière dans la littérature mondiale. Mais Lowry était un anglais et s'était délibérément servi de ce pays comme toile de fond tragique pour son alter ego alcoolique, le consul Geoffrey.  Reste que cet épisode littéraire a longtemps pesé comme une malédiction dans le ciel de la littérature mexicaine.  Le roman “La double vie de Jesús” d'Enrique Serna ne rompt pas avec cette tradition en continuant d'entretenir cette atmosphère délétère pour les hommes mais excellente pour la littérature.  Son auteur n’en est pas à son coup d’essai puisque trois de ses romans ont déjà été traduits en français. Il fait partie de ces écrivains qui taillent dans la chair de ses personnages et scrute les paradoxes qui  les animent, faisant ressortir toute la cruauté de certaines situations avec un humour d’une incroyable férocité tout en conservant une réelle tendresse pour son personnage principal.  
   “La double vie de Jesús” aurait pu être simplement un roman d’amour mais le réduire  à cette seule occurrence serait évidemment  simpliste, ce serait compter sans le talent littéraire de Séna. Son personnage,  Jesús Pastrana, est un contrôleur fiscal au dessus de tout soupçon, un incorruptible au sein d’une mairie , celle de Cuernavaca, une ville de près de 400 000 habitants, où la corruption  affecte chaque couloir, chaque bureau, à tous les  niveaux de la hiérarchie municipale. En cela Jesùs n’a pas volé son prénom.
   Quand Pastrana décide de se présenter à la mairie de la ville,   comme le chevalier  blanc de la vie politique locale, sa vie va prendre un cours très différent de celui auquel il aurait pu s’attendre.  Entre les fonctionnaires corrompus de la mairie,  les narcotrafiquants qui ont  infiltré chaque quartier de la ville,  un adversaire politique qui possède  une aura médiatique indéniable et une histoire d’amour passionnelle qui va se nouer  avec une créature qu’il ne faudrait mieux pas fréquenter quand on  veut gagner une élection dans  un contexte particulièrement hostile, Pastrana devra affronter les pires travers de la société mexicaine ainsi que ses propres turpitudes.
Jésús va vivre un véritable chemin de croix avec, pour seul allié,  cet amour fou qui le dévore.  Autour de lui les tentatives de corruption se multiplient, les menaces de morts, les enlèvements, les décapitations font basculer la campagne électorale dans une ambiance crépusculaire.
Roman éminemment social  “La double vie de Jesús” ne constitue pas seulement un réquisitoire contre les moeurs politiques au Mexique, c’est aussi un magnifique roman, merveilleusement traduit par François Gaudry, conjuguant réalisme et lyrisme.  L’écriture  d’Enrique Serna  nous entraîne dans une fresque haute en couleur où il parait bien difficile de distinguer le bien et le mal à mesure que le récit avance.  A la fin du roman toutes les boussoles explosent mais il se pourrait bien que Jesús obtienne le droit de ressusciter…
   Pas certain qu’après la lecture de la “La double vie de Jesús”  vous envisagiez des vacances au Mexique mais vous aurez au moins la certitude d’avoir  un grand roman dans votre bibliothèque. 

Archibald PLOOM

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GRAMMAIRE FUN - OBJECTIF ZERO FAUTE

Voilà un petit ouvrage de grammaire bien utile et qui a le mérite de ne pas se parer des atours austères de ses confrères. C’est vrai, après tout, pourquoi la grammaire serait seulement une affaire de vieux professeurs toujours prêts à vous tancer pour votre incurie grammaticale?  On a tous connu ça, du moins ceux qui  ont rencontré des difficultés dans ce domaine, les nuls en dictée, les nuls en grammaire, les mous de l’accord du participe passé et des terminaisons du passé simple.
   Pourtant la grammaire devrait être un bonheur car elle est, en vérité, la clef de la phrase et donc, au final  du texte.  Etre mauvais en grammaire peut devenir rapidement un véritable chemin de croix existentiel.  Agathe Bozon en bonne adoratrice du Littré et émule du Bescherelle nous propose avec “Grammaire fun : Objectif zéro faute” un ouvrage intelligent, documenté et ludique qui vous permettra de remuscler  votre grammaire en quatre temps qui sont autant de possibilité d’aborder, en quelque sorte, cette cure de grammaire.  D’abord chacun pourra repérer ses erreurs grâce à un texte-diagnostic. Chaque difficulté grammaticale renvoyant directement  à la partie de l’ouvrage qui la traite.  Vous pouvez aussi revenir aux fondamentaux par thématiques :  les adjectifs, les adverbes,  les concordances des temps, les accords des participes…  L’ouvrage vous propose aussi de vérifier que vous avez bien compris grâce à des exercices et un texte diagnostic final. Enfin vous avez la possibilité de mémoriser tout ce que vous avez appris en vous aidant des récapitulatifs thématiques.
 Cet ouvrage rend à la grammaire française toute sa saveur et souligne à chaque page qu’elle est d’abord une affaire de logique, son indispensable maîtrise permettant de s’inscrire dans la modernité.  L’organisation fonctionnelle proposée par l’auteur vise d’abord à l’efficacité grâce à des allers et retours entre phases d’évaluation, de compréhension et de vérification.   Cette grammaire devrait se trouver près de votre dictionnaire , sur votre bureau ou dans la chambre des enfants et chaque étudiant devrait toujours la garder à porter de main. 
Archibald PLOOM

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