ENTRETIEN AVEC Bertrand
JULLIEN-NOGAREDE
Bertrand Jullien-Nogarède nous propose avec “La première fois
que j’ai été deux” – parution le 6 juin 2018 chez Flammarion - un
roman d’amour qui plonge ses racines dans l’histoire
européenne. Karen Traban son héroïne est passionnée de littérature
et de musique et sa rencontre avec un jeune anglais va l’entrainer bien au-delà
de ce qu’une simple histoire d’amour peut proposer. L’écrivain
a accepté de répondre aux questions d’Appoline Segran pour Culture-Chronique.
Appoline SEGRAN : Votre roman “La
première fois que j’ai été deux” est un véritable petit piège
littéraire, on croit à un classique roman d’amour mais en vérité ce n’est que
le début d’une quête initiatique.
Bertrand JULLIEN-NOGAREDE : Oui ce n’est que
le début… Comme l’histoire de chacun d’entre nous qui n’existe que dans un
environnement particulier. L’amour est la grande affaire de notre
vie mais immédiatement au second plan il y a les gens qui nous entourent, notre
village, notre quartier, et puis l’Histoire qui nous tient
constamment en otage. Ce n’est pas la même chose de vivre
aujourd’hui plutôt que dans la France de 1918…
Appoline SEGRAN : Votre roman se déroule au
début des années 2000.
BJN : Oui je tenais à cette
distance. Je n’aime pas le temps immédiat. Il absorbe l’écrivain,
l’entraîne dans le tourbillon de l’actualité. Ecrire sur un temps
révolu, même s’il ne s’agit que d’une décennie, est toujours plus facile, du
moins pour moi.
Appoline SEGRAN : Votre héroïne, Karen
Traban, est encore au lycée.
BJN : Oui Karen passe le bac, le roman
se déroule sur quelques mois durant l’année de terminale. Je voulais écrire sur
ce passage de la vie, ce moment de basculement entre la fin de
l’adolescence et le début de l’âge adulte.
Appoline SEGRAN : Elle
juge le monde qui l’entoure avec une ironie mordante…
BJN : Absolument, c’est de son âge… Et
puis la vie ne lui a pas réservé que des bonnes nouvelles. Elle se protège
comme elle peut. Elle vit avec une mère dépressive, n’a jamais connu son père
et n’ai pas très chanceuse avec les garçons. Elle a des raison
d’être un peu en colère.
Appoline SEGRAN : En même temps c’est une
jeune fille qui a vite compris que la vie peut rapidement devenir une comédie.
BJN : Oui elle ne se fait guère
d’illusions tout en conservant au fond d’elle une forme d’espérance romantique.
Un romantisme qui aurait été trempé dans un bain d’acide voltairien.
Appoline SEGRAN : Une voltairienne en jupon…
BJN : Oui c’est un peu ça. Karen Traban
est un personnage que j’ai travaillé pendant une dizaine d’années à partir
d’instantanés de jeunes filles que j’ai glanés ici et là. C’est une
construction narrative de longue haleine. J’ai connu une Karen Traban au même
âge, c’est sans doute de là que tout est parti…
Appoline SEGRAN : Un amour de jeunesse…
BJN : Qui sait… mais une chose est
certaine il y a parfois une lucidité incroyable chez une jeune fille
de 17 ans souvent associée à une forme de révolte. Karen est une littéraire,
c’est un don que sa mère lui a fait. Elle lit énormément et c’est une jeune
fille à qui on la fait pas. Les répresentations que les garçons ont des filles,
l’hypocrisie des adultes, la société de consommation, la tristesse de la
banlieue sont autant de thèmes qui habitent le roman. Karen cultive un goût
pour le romanesque sans pour autant rêver d’une
romance. Elle ne se fait pas trop d’illusion sur le cours que peut
prendre la vie d’une gamine de banlieue…
Appoline SEGRAN : Et
pourtant elle va faire une rencontre qui va changer sa vie…
BJN : Oui et une telle rencontre à 17
ans procure une intensité particulière. Quoi qu’il puisse
se passer ensuite ce moment restera “hors temps”. C’est ce que j’ai
voulu raconter. Tom et Karen vont s’inventer une histoire unique à
partir de leur révolte en refusant finalement de s’y enfermer.
Appoline SEGRAN : Karen et
Tom sont aussi musiciens.
BJN : Leur rencontre aurait été
impossible sans la musique. Ils partagent cette passion. Au fond
c’est ce qui les sauve, ils sont capables de s’abstraire dans la musique. Elle
fait partie de leur vie. Mais leurs cultures sont différentes, Tom est
anglais et Karen française. J’ai trouvé intéressant de confronter
ces deux approches: Karen possède une solide formation classique tandis que Tom
adore le rock.
Appoline SEGRAN : Votre roman possède une
BO remarquable.
BJN : Oui c’est un parti pris que j’ai
trouvé intéressant., The Who, The Rolling Stones, The Kinks, The
Jam, Oasis sont des groupes dont l’influence musicale a été, et reste,
considérable. Je voulais écrire un roman immergé dans la bande originale de ces
quarante dernières années. Tom et Karen sont sensibles à certains
morceaux qui désormais appartiennent à l’histoire. Ils révèlent l’influence du
passé sur le présent de jeunes gens. C’est une
particularité de l’après seconde guerre mondiale.
Appoline SEGRAN : L’Histoire
est le troisième personnage du roman.
BJN : Elle
l’est pour nous tous sans que nous en ayons toujours
conscience. J’avais envie d’explorer cette part de la réalité qui
nous traverse insensiblement jusqu’à parfois nous détruire. Karen va
progressivement comprendre que son histoire est intimement liée à des
évènements qui ont précédé.
Appoline SEGRAN : A
ce titre “La première fois que j’ai été deux” est un roman européen.
BJN : Oui absolument ! La géographie du
roman traverse la France, la Grande Bretagne, la Pologne et l’Allemagne, quatre
pays où se sont noués le destin des ancêtres des
deux protagonistes.
Appoline SEGRAN : Au terme du roman le
lecteur se dit qu’il a fait un sacré voyage dans le temps.
BJN : Oui un voyage
initiatique qui va changer la vie de nos deux
personnages. Un voyage dans l’histoire qui va commencer sur un vieux
scooter dans les plaines de Seine et Marne et se terminer à Londres… L’amour se
livre parfois à des détours étranges...