dimanche 22 janvier 2017

SUR LES CHEMINS NOIRS de Sylvain TESSON


Après un terrible accident qui le laissa presque pour mort, Sylvain Tesson – qui est revenu depuis de cette forme d’héroïsme personnel aussi inutile que destructeur – s’était fait la promesse, dans son lit de souffrance, qu’il traverserait la France à pied s’il parvenait un jour à remarcher.  La médecine française et des mois de rééducation  vont lui permettre de retrouver assez de mobilité pour réaliser ce projet.  “Sur les chemins noirs” sera la mise en récit de cette promesse qu’il s’était fait à lui même.  «J’avais rêvé cette balade de France dans un lit, je m’étais levé pour l’accomplir. C’était un voyage né d’une chute ». Il la fera seul, rejoint parfois, pour quelques étapes, par ses amis Gras, Goisque, Human et par sa sœur.
   Tesson est amoureux des cartes IGN au 25.000e  car elles sont les seules à révéler  les chemins pastoraux fixés par le cadastre  « des accès pour les services forestiers,  des appuis de lisière, des via antiques à peine entretenues, parfois privées souvent laissées à la circulation des bêtes.  La carte entière se veinait de ces artères.  C’étaient mes chemins noirs.  Ils ouvraient sur l’échappée, ils étaient oubliés  le silence  y régnait, on y croisait personne et parfois la broussailles se refermait  aussitôt après le passage.  Certains hommes espéraient entrer dans l’histoire. Nous étions quelques uns à espérer disparaître dans la géographie. »  Le projet est posé, il est celui d’un grand marcheur  qui n’aime guère la modernité imposée par la société contemporaine.  Tesson écrit et parle une langue  qui  honore  le passé et se méfie du présent. Il est plus proche de Chateaubriand – la religion en moins -  que de Beigbeider, il y a chez lui une recherche  de l’intact au cœur d’une nature constamment redessinée par les hommes.  Tesson est toujours une source vive à laquelle le lecteur vient boire.
    « Sur les chemins noirs » sont aussi les chemins de la rédemption. Ce long voyage pédestre du Mercantour au sommet du Contentin  est celui d’un homme  éclopé  qui ne pourra plus jamais mettre la machine en surchauffe.  Après sa chute  suivie d’un salut inespéré, l’écrivain, qui se présente comme un ancien et triste soûlographe,  se retrouve à des années lumière de son existence d’avant. « Pour moi, une noble existence ressemblait aux écrans de contrôle des camions sibériens : tous  les voyants d’alerte sont au rouge mais la machine taille sa route … »  Il faudra faire désormais à l’économie.  La traversée  va commencer en compagnie de Pessoa, Hölderlin et de Staël mais Dieu que c’est difficile.  Tesson fait le compte des pertes et  le constat  est sans appel, il ne tourne plus que sur un cylindre… Et pourtant il tiendra sa promesse.
   « Sur les chemins noirs »  est un ouvrage qui prend le vif des bonheurs simples et des douleurs irrémédiables, un récit  que n’aurait pas renié  un Marc Aurèle ou un Nietzsche. Les chemins noirs possèdent la puissance de l’indifférence,  ils sont, dans une société  mondialisée, pas très disposés aux changements. « On les comprenait : quand on a cultivé un terroir pendant deux mille ans, il n’était pas facile de participer à la foire mondiale. »  Un grand, un beau livre  qui constitue une inflexion dans une œuvre qui avançait jusqu’alors à marche forcée et qui désormais ralentit le pas mais continue sa pérégrination en suivant indéfectiblement la ligne d’horizon.
(CULTURE-CHRONIQUE.COM)

UNE BOUFFEE D'AIR PUR d'Amuly MALLADI


Les éditions Mercure de France éditent depuis plusieurs années d’excellents auteurs indiens dans sa collection “ Bibliothèque étrangère”.   Nous avions déjà parlé du roman d’Amrirban Bose “La mort de Mitali Dotto” qui avait été une véritable découverte. Cette fois “La Bibliothèque étrangère” s’augmente d’un nouveau volume   d’une auteure indienne née en 1974, Amuly Malladi, qui nous propose un roman intitulé “Une bouffée d’air pur”  et qui renvoie à l’une des pires catastrophes industrielles que le monde ait connue.  A l’époque l’écrivain n’avait qu’une dizaine d’années mais l’onde de choc qu’a représenté l’explosion de l’usine d’Union Carbide le 3 décembre 1984 à Bhopal a profondément pénétré la conscience collective indienne.
   Le récit commence dans la gare même de Bhopal où, ce 3 décembre précisément la jeune Anjali, attend son mari  Prakash qui ne vient pas parce qu’il a tout simplement  oublié.  C’est à ce moment là que l’air s’empoisonne des rejets  chimiques que l’explosion  de l’usine  vient de répandre dans l’atmosphère  de la ville. Les pages qui relatent les premiers  instants de la tragédie qui  précèdent une indicible panique dans la ville sont  terribles,  dévastatrices,  montrant des habitants pris au piège de leurs poumons et ne trouvant nul  part  où respirer. L’explosion d’Union Carbide c’est l’équivalent   de la première attaque au gaz moutarde le 22 avril 1915 à Ypres. Aucune  échappatoire, des hommes faits comme des rats, des morts par milliers,  des aveugles,  des blessés aux poumons brûlés.
   Anjali va survivre avec des séquelles importantes. Elle considère Prakash comme responsable de son destin, s’il avait été là elle aurait échappé à ce triste sort.  Elle demande le divorce et se remarie avec Sandeep mais l’enfant qu’ils auront sera lui aussi terriblement handicapé. Des années plus tard Anjali rencontre Prakash par hasard…
     Amulya Malladi nous propose un roman qui joue simultanément sur les ressorts dramatiques et humains de cette tragédie.  En adoptant la technique du roman choral, offrant à chaque personnage une voix et un ressenti particuliers, l’écrivain  nous permet de saisir la complexité d’une situation que personne n’a choisie  mais que chacun  s’est vu imposer.  C’est aussi un très beau roman sur la difficulté du pardon. “Une bouffée d’air pur” un roman qui plonge ses racines au coeur de notre humanité et à ce titre il constitue une belle surprise littéraire.
(CULTURE-CHRONIQUE.COM)