lundi 3 octobre 2016

L'ARGENT de Charles PEGUY


Quelle bonne idée ont eu les éditions “Louise Bottu” de publier  “L’argent” ce grand texte de Charles Péguy dans la collection “Inactuels/intempestifs”. Ce court essai, qui parut quelques mois avant la première guerre mondiale où Péguy devait sombrer corps et âme avec des millions d’autres, conserve une actualité et une pertinence  qui  laisse pantois.  Lire ou relire “L’argent” c’est se plonger dans une eau vive qui réveille la conscience et les forces vitales de l’esprit.  On retrouve le style direct et plein de verve d’un Péguy au sommet de son art d’essayiste. Les formules font mouche et éclairent des évolutions  qui, depuis, se sont accélérées de manière considérable. “L’ancienne aristocratie est devenue comme les autres une bourgeoisie d’argent. L’ancienne bourgeoisie est devenue une basse bourgeoisie, une bourgeoisie d’argent. Quant aux ouvriers ils n’ont plus qu’une idée, c’est de devenir des bourgeois. C’est même ce qu’ils nomment devenir socialistes.”   Péguy force les verrous sociaux et les apparences sociologiques avec la précision  d’un laser.  Il déteste l’argent et sa réflexion parait  parfois prophétique : “Par on ne sait quelle effrayante aventure, par on ne sait quelle aberration de mécanisme, par un décalage, par un dérèglement, par un monstrueux affolement de la mécanique, ce qui ne devait servir qu'à l’échange a complètement envahi la valeur à échanger.” On lit déjà entre les lignes la logique implacable de la maximisation des profits, celle qui déshumanise et qui fonctionne désormais sur le mode algorithmique.  Mais Péguy n’était pas un prophète, il avait juste  la lucidité des grands esprits qui parviennent à saisir dans l’avenir les conséquences du présent.
 Cette nouvelle édition parait en des temps où l’histoire semble de nouveau glisser sur la mauvaise pente. Il y a cent ans Péguy était déjà mort, fauché, comme Alain Fournier, dans les premiers jours de la guerre: mort à l’ennemi selon la formule de l’époque. Mais pour nous Péguy reste vivant à travers des textes aussi éclairants que “L’argent”. Nous en avons bien besoin en des temps où la parole politique semble discréditée et où la transcendance et l’idéal semblent s’être perdus dans les travées d’une interminable galerie marchande qui figure la société d’aujourd’hui. 
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE)

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